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Jean-Henri Fabre, les insectes et les truffes...

La Maison de la Truffe de Comprégnac honore les recherches de Jean-Henri Fabre entomologiste de renom et écrivain en langue française et occitane, né à Saint Léons en 1823 (1) . Ses observations constituent encore des références pour les scientifiques du monde entier, par leur précision et leur richesse. Ecrivain de talent, ce touche-à-tout surdoué (géologie, chimie, botanique, mycologie, etc..) a même été peintre à ses heures, lui qui a réalisé des aquarelles pour représenter les champignons !
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Mais venons-en aux truffes : Fabre s’est intéressé à l’odorat des deux principaux insectes qui se délectent de truffes (eux-mêmes ou leurs larves ): le liodes (Anisotoma Cinnamomea) et la mouche (Suillia Sapromyza) (2). Découvrons comment à partir de l’observation du chien truffier d’un chercheur de truffes («rabassier» ou « caveur ») qui a accepté de jouer le jeu, Fabre en est arrivé à des observations qui éclairaient d’un jour nouveau les connaissances ou croyances de l’époque sur la relation mouche/arbre/champignon. Voici un extrait des « Souvenirs entomologiques », Série VII, Chapitre 25 :

« (…) Qui n'a pas vu le chien cherchant la truffe ignore une des plus belles prouesses du sens olfactif. Absorbé dans ses fonctions, l'animal va, le nez au vent, le pas modéré. Il s'arrête, interroge le sol d'un coups de narines, et, sans insister, gratte un peu de la patte. « Ca y est, maître, semble-t-il dire du regard ; ça y est. Foi de chien, la truffe est là. »

Et il dit vrai. Le maître fouille au point indiqué. Si la houlette s'égare, le chien la fait remettre dans la bonne direction en reniflant un peu au fond du trou. N'ayez crainte des pierrailles, des racines rencontrées : en dépit des écrans et de la profondeur, le tubercule viendra. Nez de chien ne peut mentir.

Subtilité d'odorat, dit-on. Je veux bien, si l'on entend par là que les fosses nasales de l'animal sont l'organe percepteur ; mais la chose perçue est-elle toujours une simple odeur dans la vulgaire acception du terme, un effluve comme l'entend notre propre impressionnabilité ? J'aurais quelques raisons d'en douter. Racontons la chose.

A diverses reprises, j'ai eu la bonne fortune d'accompagner un chien des mieux experts en son métier. Certes il ne payait pas de mine, l'artiste que je désirais tant voir travailler : chien quelconque, placide et réfléchi, disgracieux, mal peigné, non admissible aux intimités du coin du feu. Talent et misère fréquemment vont de pair.

Son maître, célèbre rabassier [ Rabasso est le nom provençal de la truffe. D'où le terme de rabassier pour désigner un chercheur de truffes. ] du village, convaincu que mon dessein n'était pas de lui dérober ses secrets et de lui faire un jour concurrence, m'admit en sa compagnie, gracieuseté non prodiguée. Du moment que je n'étais pas un apprenti, mais un simple curieux qui dessinait et mettait par écrit les choses végétales souterraines, au lieu d'apporter à la ville mon sachet de trouvailles, gloire de la dinde aux fêtes de la Noël, l'excellent homme se prêta de son mieux à mes vues.

Il fut convenu entre nous que le chien agirait à sa guise, avec la récompense obligatoire après chaque découverte, n'importe laquelle, un croûton de pain gros comme l'ongle. En tout point gratté de la patte il serait fouillé, et l'objet indiqué serait extrait sans préoccupation de sa valeur marchande. Dans aucun cas, l'expérience du maître ne devait intervenir pour détourner la bête d'un point où la pratique des choses n'indiquerait rien de commercial, car aux morceaux de choix, accueillis, bien entendu, quand ils se présentaient, mon relevé botanique préférait les misérables productions non admises au marché.

Ainsi conduite, l'herborisation souterraine fut très fructueuse. De son nez perspicace, le chien me fit indifféremment récolter le gros et le menu, le frais et le pourri, l'inodore et l'odorant, le parfumé et l'infect. J'étais émerveillé de ma collection, comprenant la majeure partie des champignons hypogés de mon voisinage.

Quelle variété de structure et surtout de fumet, qualité primordiale en cette question de flair ! Il y en a sans rien autre d'appréciable qu'un vague relent fungique, qui partout se retrouve, plus ou moins net. Il y en a qui sentent la rave, le chou pourri ; il y en a de fétides, capables d'apuantir l'habitation du collectionneur. Seule la vraie truffe possède l'arôme cher aux gourmets.

Si l'odeur comme nous l'entendons est son unique guide, comment fait le chien pour se reconnaître au milieu de ces disparates ? Est-il averti du contenu du sol par une émanation générale, l'effluve fungique, commune aux diverses espèces ? Alors surgit question bien embarrassante.

J'étais attentif aux champignons ordinaires, dont beaucoup, encore invisibles, annonçaient leur prochaine sortie en crevassant le sol. Or, en ces points, où mon regard devinait le cryptogame refoulant la terre sous la poussée de son chapeau, en ces points où la vulgaire odeur fungique était certainement très prononcée, je n'ai jamais vu le chien faire station. Il passait dédaigneux, sans reniflement, sans coup de patte. La chose cependant était sous terre, pareille de fumet à ce qu'il nous indiquait parfois.

Je revins de l'école du chien avec la conviction que le nez dénonciateur de la truffe a pour guide mieux que l'odeur telle que nous la concevons d'après nos aptitudes olfactives. Il doit percevoir en plus des effluves d'un autre ordre, pleins de mystère pour nous, non outillés en conséquence. La lumière a ses rayons obscurs, sans effet sur notre rétine, mais non apparemment sur toutes. Pourquoi le domaine de l'odorat n'aurait-il pas ses émanations clandestines, inconnues de notre sensibilité et perceptibles avec une olfaction différente ?

Si le flair du chien nous laisse perplexes en ce sens qu'il nous est impossible de dire au juste, de soupçonner même ce qu'il perçoit, du moins il nous affirme clairement quelle erreur serait la nôtre si nous rapportions tout à la mesure humaine. Le monde des sensations est bien plus vaste que ne le disent les bornes de notre impressionnabilité. Faute d'organes assez subtils, que de faits nous échappent dans le jeu des forces naturelles !

L'inconnu, champ inépuisable où s'exercera l'avenir, nous réserve des moissons auprès desquelles l'actuel connu est mesquine récolte. Sous la faucille de la science tomberont un jour des gerbes dont le grain paraîtrait aujourd'hui paradoxe insensé. Rêveries scientifiques ? — Non pas, s'il vous plaît, mais réalités indiscutables, positives, affirmées par la bête, bien mieux avantagée que nous sous certains rapports.

Malgré sa longue pratique du métier, malgré l'arôme du tubercule qu'il cherche, le rabassier ne peut deviner la truffe, qui mûrit l'hiver sous terre, à un pan ou deux de profondeur ; il lui faut le concours du chien ou du porc, dont l'odorat scrute les secrets du sol. Eh bien, ces secrets, divers insectes les connaissent, mieux encore que nos deux auxiliaires. Pour découvrir la tubéracée dont se nourrit leur famille de larves, ils possèdent un flair d'exceptionnelle perfection.

De truffes extraites de terre gâtées, peuplées de vermine et mises en état dans un bocal avec couche de sable frais, j'ai obtenu autrefois d'abord un petit coléoptère roux (Anisotoma cinnamomea Panz.), puis divers diptères, parmi lesquels un Sapromyze qui, par son mol essor, sa débile tournure, rappelle le Scatophaga scybalaria, la mouche à velours fauve, hôte paisible de l'excrément humain dans l'arrière-saison.

Celle-ci trouve sa truffe à la surface du soi, au pied d'un mur ou d'une haie, refuge habituel dans la campagne ; mais l'autre, comment sait elle en quel point, sous terre, est la sienne, ou plutôt celle de ses vers ? Pénétrer là-dedans, se mettre en recherche dans les profondeurs, lui est interdit. Ses frêles pattes, que fausserait un grain de sable à remuer ; ses ailes d'envergure encombrante dans un défilé ; son costume hérissé de soies, contraires à la douce glissade, tout enfin s'y oppose. La Sapromyze doit déposer ses oeufs à la surface même du sol, mais au lieu précis qui recouvre la truffe, car les vermisseaux périraient s'ils devaient errer à l'aventure jusqu'à la rencontre de leur provende, toujours très clairsemée.

La mouche rabassière est donc informée par l'olfaction des points favorables à ses desseins maternels ; elle a le flair du chien chercheur de truffes, et mieux encore sans doute, car elle sait de nature, n'ayant rien appris, et son rival n'a reçu qu'une éducation artificielle.

Suivre la Sapromyze en campagne ne manquerait pas d'intérêt. Tel projet me paraît peu réalisable. L'insecte est rare, prestement s'envole, se dérobe à la vue. L'observer de près, le suivre en ses recherches, demanderait grande perte de temps et une assiduité dont je ne me sens pas capable. Un autre découvreur de champignons hypogés nous dédommagera de ce que le diptère très difficilement nous montrerait. (...)(2)»

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La mouche truffière brillamment photographiée par notre collègue Michel « Lou Truffaire » et dont les photos sont en vente à la Maison de la Truffe au profit de la Maison (Merci à Michel; une visite de son site s'impose http://www.truffaire.com/ )

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Au sujet de la reproduction de la truffe, Fabre, le botaniste, classe délibérément la truffe parmi les champignons, ce qui à l’époque méritait d’être affirmé avec conviction. Il décrit de manière très approfondie le mycélium et les spores. Il préconise des ensemencements des sols qui accueillent des plants par des morceaux de truffes. En revanche, il semble écarter l’idée d’une relation directe entre l’arbre et le champignon. Il admet que les truffes pourraient absorber des "excrétions radiculaires", mais n’entrevoit pas la possibilité que le champignon aille se fixer sur les racines et puiser lui-même les sucres qu’elles contiennent. En bref, l’idée d’une symbiose arbre/truffe n’apparaît pas encore clairement.

La lecture de l’ensemble de cette note s’impose :

https://www.e-fabre.com/e-texts/memoires/truffes_note.htm

N’en déplaise à Jean-Henri Fabre, les caveurs qui recherchent leurs truffes à la mouche n’ont pas le sentiment de perdre leur temps et font preuve de l’assiduité nécessaire, l’hiver quand le soleil daigne briller. A la différence avec l’entomologiste, ils sont plus préoccupés par la découverte des truffes que par les mœurs de la mouche... qu’ils finissent par connaître à force de la déranger à l’aide d’un rameau de buis pour la faire s’envoler et observer à quel endroit elle se pose pour continuer à pondre ses œufs à l’aplomb de la truffe qu’elle sait détecter grâce à son odorat.

 

Outre l’observation des insectes, Fabre le botaniste a aussi écrit une note sur le mode de reproduction des truffes qu’il a présentée devant les membres de la société d'agriculture et d'horticulture du Vaucluse, le 6 avril 1857. Son souci principal était d’affirmer que la truffe est un champignon, idée non admise à l’époque, et de combattre une idée propagée par un certain Ravel selon laquelle la truffe serait une galle de l’arbre issue d’une piqûre de la racine par la mouche « truffigène ». Ce faisant il décrit avec davantage de précisions le liodès, petit coléoptère aux pattes vigoureuses, et la mouche :

« (…) Une autre impossibilité de faire naître une galle souterraine par la piqûre d'une mouche se présente aussitôt, si l'on songe que la racine à atteindre se trouve à quelques pouces au moins de profondeur dans un sol compact, et que les mouches en général et particulièrement celles dont je viens de vous entretenir, n'ont aucun organe qui leur permette de fouiller le sol et d'y pénétrer. Il suffit d'observer l'apparence délicate du corps, la débilité des pattes, l'état de mollesse des téguments, l'absence de tout appareil propre à fouir, pour se convaincre qu'aucune des espèces que je viens de citer n'est capable de remuer seulement un grain de sable. J'en excepte le coléoptère qu'on reconnaît pour un vigoureux pionnier à la forme de ses pattes, aux dentelures de ses cuisses. Mais cette espèce étant en dehors de la théorie de M. Ravel, occupons-nous seulement des mouches, et ne craignons pas d'affirmer qu'il leur est absolument impossible à toutes d'atteindre un filament radiculaire, ne serait-il couvert que d'un pouce de terre. Mais, dira-t-on, si les larves de ces mouches vivent dans les truffes, comment s'y trouvent-elles, si la mère n'a pu y pondre ses oeufs ; et comment encore les mouches qui proviennent de ces larves peuvent-elles quitter leur demeure souterraine pour venir à l'air libre ? Cette difficulté sera bientôt levée si l'on considère que ces larves ont la bouche armée de deux crocs puissants, véritables dents de pioche parfaitement appropriées à l'action de fouiller le sol. Ce sont les vers eux-mêmes qui, à l'aide de ces crocs, s'ouvrent, quoique privés de pattes, un passage dans la terre, et guidés par un odorat exquis parviennent jusqu'à la truffe, où ils se logent bientôt. Ce sont les vers qui, pressentant le travail de la métamorphose, abandonnent le champignon corrompu dont ils se sont nourris et remontent jusqu'à la surface du sol avant de se métamorphoser en pupes. Dès lors la mouche qui sort de la pupe n'a aucun obstacle à vaincre, elle peut s'élancer librement dans l'air, sa demeure définitive, sans efforts dont elle est incapable, sans pénible travail d'excavation dans un sol dont le rude contact offenserait mortellement sa délicate organisation. Admirez avec moi, Messieurs, cette prescience de l'instinct, qui fait deviner à un obscur vermisseau l'impossibilité où il se trouverait à l'état de mouche de revenir à la lumière et lui fait prendre des précautions en conséquence. La nature abonde en exemples de ces divines harmonies entre l'instinct des êtres les plus infimes et leurs conditions d'existence, et je suis heureux de pouvoir, dans un sujet étranger à ces études, vous en rappeler cet exemple entre mille. Les mouches, les tipules n'ont donc qu'à déposer leurs oeufs dans le voisinage des truffes, qu'à les semer à la superficie du sol, et les larves qui naîtront bientôt de ces germes s'ouvriront elles-mêmes un passage jusqu'au champignon souterrain. Quant au coléoptère, il me paraît très-probable qu'il laboure lui-même le sol pour pénétrer jusqu'à la truffe, qu'il creuse des galeries dans la chair de ce champignon et qu'il y dépose directement ses oeufs, puisque, ainsi qu'il a été dit, son organisation en fait un pionnier éminent. Mais ce coléoptère n'est pas en cause dans cette discussion et d'ailleurs ses travaux exigent l'existence préalable de la truffe. En résumé, il est de la plus haute évidence, pour tout esprit sans prévention, que c'est une erreur des plus grossières d'attribuer aux précédentes mouches la production des truffes assimilées à des galles, puisque ces mouches n'ont aucun instrument perforant pour piquer les racines, ni même la possibilité de pénétrer seulement jusqu'à ces dernières.  (…) »
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Ci-dessus : mouche truffière "Lou Truffaire"
Ci-contre : liodes cinnamomea
source : https://www7.inra.fr/opie-insectes/pdf/i138coutin1.pdf

Renvois :

(1) Après la sortie du film « Microcosmos » qui a mis en lumière pour le grand public quelques une des innombrables observations de Fabre sur les insectes, la Cité des insectes a été construite pour lui rendre hommage https://www.micropolis-aveyron.com/. On peut visiter la Maison natale de Jean-Henri Fabre à St Léons : https://www.tourisme-aveyron.com/fr/diffusio/patrimoine-culturel-visites/maison-natale-de-jean-henri-fabre-st-leons_TFO18975994196

(2) Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur l’odorat d’autres insectes, lisez le chapitre en entier https://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/odorat.htm

 

(3) Par une expérience, Pasteur (que Fabre a reçu chez lui) mettra fin à la théorie de la génération spontanée.

 

(4) Cette théorie de l’évolution ébauchée par Lamarck reprise par Darwin bousculait les croyances religieuses de l’époque. Elle avait été avait été violemment combattue par Cuvier qui, à l’opposé, défendait la théorie de la fixité des espèces. La théorie de l’évolution est maintenant très largement admise et constitue un fondement de l’avancée de la connaissance et du progrès scientifiques.

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Jean-Henri Fabre a entretenu des correspondances avec les plus grands scientifiques de l’époque. Lui qui faisait sienne la théorie de Spallanzani  pour qui le principe de la génération spontanée était faux (3), refusa cependant d’admettre la théorie de l’évolution des espèces portée par son collègue Darwin (4), malgré l’estime mutuelle que se portaient les deux chercheurs et les expériences qu’ils ont effectuées après s’être concertés.
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Lazzaro Spallanzani (1729-1799) avait réfuté la théorie de la génération spontanée.
Louis Pasteur (1822-1895) a prouvé que la génération spontanée n'existait pas : dans un milieu fermé et stérile, aucune forme de vie n'apparaît.
Charles Darwin (1809-1882) a affirmé la théorie de l'évolution.
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Jean-Henri Fabre (1823-1915)

Pour en savoir plus sur Jean-Henri Fabre :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Henri_Fabre

sur son œuvre :

https://www.e-fabre.com/

sur l'endroit où il a vécu et travaillé jusqu'à la fin de sa vie : http://www.harmasjeanhenrifabre.fr/

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